La Nature morte : Première !

J’inaugure le premier thème de ce blog avec les natures mortes.
Je n’ai pas choisi.
C’est Pablo (Picasso) qui me l’a soufflé alors que je tombais de nouveau nez à nez avec l’extraordinaire et toute en rondeur « Nature morte au pichet et aux pommes » peinte en 1919.
On la recroisera plus tard.

Je posterai régulièrement (ou pas) un focus sur une nature morte en peinture ou en photographie (thème : « Inanimation quand tu nous tiens ! ») mais tout d’abord un article de vulgarisation….

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Nature morte avec coupe Nautilus, 1654, Willem Claeszoon Heda

Nature morte avec coupe Nautilus, 1654, Willem Claeszoon Heda

La nature morte

Mais qu’est-ce que c’est exactement ?

La nature morte, c’est tout d’abord un genre pictural.

On la définit comme un ensemble d’objets inanimés, la représentation d’objets inertes et divers. Cela peut être des fruits ou des fleurs, des vases ou des miroirs mais également des animaux morts (gibier, poissons…).

Selon Charles Sterling, historien de l’art du XXe siècle :
« Une authentique nature morte naît le jour où un peintre prend la décision fondamentale d’organiser en une unité plastique un groupe d’objets »

Ces objets deviennent alors le sujet principal du tableau ou de la photographie.

L’artiste qui peint des natures mortes est appelé, accrochez-vous : un nature-mortiste !

La vanité

Catégorie particulière de la nature morte, la vanité est une composition allégorique qui évoque la brièveté de la vie, son caractère éphémère, le temps qui passe et la mort. L’objet récurrent est le crâne, symbole de la mort, et les autres objets présents sont porteurs de signification : le livre devient le symbole du savoir, les instruments de musique évoquent le plaisir et un coquillage rare induit la richesse.

MEMENTO MORI

Les vanités dénoncent la relativité de la connaissance et la vanité du genre humain soumis à la fuite du temps et à la mort.

Et c’est récent ?

Evert van Aelst - Still-leven - Vers 1650

Evert van Aelst – Still-leven – Vers 1650

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’expression pour désigner cette représentation était celle de Vasari (encore lui!) : « cose naturali » (choses naturelles). Il l’avait attribué aux motifs peints par Giovanni da Udine, peintre et architecte italien du XVIe.

C’est en Flandres, vers 1650, qu’apparaît le mot « still-leven »  (still = immobile ; leven = nature, modèle naturel) pour désigner une œuvre d’Evert Van Aelst. L’expression est ensuite adoptée par les Allemands, «  Stilleben », et par les Anglais « still-life », les deux expressions signifiant « vie silencieuse ou vie immobile ». En Espagne, l’expression c’est « bodegón », qui dérive du terme bodega (lieu de rangement alimentaire) qui est utilisée. Enfin, c’est au XVIIe siècle que le terme « nature morte » apparaît en France.

Mais bien que le terme soit récent, la représentation de natures mortes ne l’est pas. Voici à présent un historique, des sources au XXe siècle.

Retour vers le futur

  • ANTIQUITÉ

    Memento-Mori_Tête de mort avec les attributs du mendiant et du roi_Pompei

    Memento Mori – Tête de mort avec les attributs du mendiant et du roi – Pompéi (+ d’infos sur cette mosaïque ici)

    Aucune peinture de nature morte de l’antiquité n’est parvenue jusqu’à nous. Cependant, grâce aux écrits de Pline l’ancien notamment, on sait que Piraikos, peintre grec du IIIe siècle avant notre ère, était connu pour peindre des « choses humbles » et vendait fort cher ce qu’on appelait alors ses « provisions de cuisine ». Il représentait des « boutiques de barbiers  et de cordonniers, des ânes, des provisions de cuisines et autres choses semblables », ce que l’on appelait alors « rhopographie » ou « rhyparographie » c’est-à-dire la représentation d’objets insignifiants ou dégoûtants. Il connaîtra un très grand succès et ses sujets seront repris en mosaïques et en petites reproductions sur planche que les riches propriétaires accrocheront dans leurs villas de Campanie ou du Latium. On raconte également que le peintre Zeuxis avait si bien réalisé ses raisins que les oiseaux, trompés, venaient les picorer.

    Les premières natures mortes connues du monde occidental sont des fresques et des mosaïques provenant de Herculanum, Pompéi ou Rome. Elles sont exécutés dans un style illusionniste (l’important est alors d’imiter le mieux possible, de donner l’illusion du vrai) : fruits veloutés, poissons et volailles posés sur une marche de pierre ou sur deux étagères, en trompe l’œil, parfois avec des ombres portées. Elles servaient à décorer murs et sols des maisons gréco-romaines.

     

  • MOYEN-AGE

    fresque en trompe-l'œil de 1305 représentant un lustre en fer forgé à la Chapelle des Scrovegni à Padoue, en Italie

    Fresque en trompe-l’œil de 1305 représentant un lustre en fer forgé à la Chapelle des Scrovegni à Padoue, en Italie – Giotto

    Avec l’hégémonie catholique, la représentation d’objets comme seul sujet d’une œuvre disparaît au Moyen Âge et lorsqu’ils apparaissent c’est pour ce qu’ils symbolisent en tant qu’attributs des personnages religieux : pomme d’Adam, livres tenus par certains saints…

    C’est dans l’Italie du XIVe siècle que réapparaitra un certain intérêt pour l’objet en tant que tel au travers des œuvres de Giotto ((lampes suspendues en trompe l’œil dans ses  » chapelles secrètes  » de la chapelle Scrovegni de Padoue, v. 1303-1305), de Pietro Lorenzetti (niche liturgique avec burettes, en trompe l’œil, dans le transept gauche de l’église inférieure d’Assise, v. 1320), de Taddeo Gaddi (niches liturgiques dans la chapelle Baroncelli à S. Croce de Florence, v. 1332-1338) ou de Duccio di Buoninsegna.

  • XVe siècle

    Triptyque de l'Annonciation d'Aix attribué à Barthélémy d'Eyck

    Triptyque de l’Annonciation d’Aix attribué à Barthélémy d’Eyck – 1442-43

    Dans l’aire culturelle dominée par le Réalisme flamand (Flandre, France, Allemagne), les peintres (hollandais) accordent une place toujours plus importante aux objets, comme en témoignent les scènes d’intérieur de Jan van Eyck et de Rogier van der Weyden pae exemple.

    Cependant, les éléments de nature morte gardent un sens symbolique, tels les natures mortes de livres sur des étagères du Maître de l’Annonciation d’Aix, Iris et lys dans un vase par Memling (v. 1490), Bassin et broc en cuivre (école flamande, v. 1480), Armoire aux bouteilles et aux livres (école allemande, v. 1470-1480).

    Souvent considéré comme la première vraie nature morte indépendante occidentale, le tableau montrant une Perdrix et un gobelet, accroché sur un faux bois, signé et daté  » Jac. de Barbari, 1504  » (Munich, Alte Pin.), est lui aussi une porte d’armoire peinte.

  • XVIe – XVIIe siècles
    Au XVIe siècle, la nature morte se développe et devient progressivement un genre à part et se fixe au début du XVIIe siècle dans les « écoles du Nord » (Flandre et Hollande) où le style s’attache principalement à 2 thèmes : les fleurs ou fruits et les repas servis ; puis le genre se propage en Europe et en France notamment.
  • XVIIIe siècle
    La nature morte reflète les préoccupations qui passionnent l’opinion de l’époque, c’est-à-dire les Arts, les Sciences et le retour à la nature ou à la vie bourgeoise et simple dont on représentera les objets familiers.C’est le siècle de Chardin. Il va progressivement se consacrer aux choses humbles et privilégier la sobriété et le travail de la matière et de la lumière. Il n’hésite pas à cet effet à peindre plusieurs fois les mêmes objets sur différentes toiles mais  à différentes heures de la journée.
  • XIXe siècle
    Pratiquement tous les peintres du XIXe vont peindre des natures mortes sans inventer toutefois de nouveaux arrangements.

    C’est avec Cézanne que la nature morte va devenir un véritable instrument avant-gardiste de recherches formelles au XXe siècle. Il va le premier, et avant les cubistes, expérimenter au travers de la nature morte de nouveaux systèmes perspectivistes et représentatifs en simplifiant la représentation des volumes par des formes géométriques plaçant côte à côte des tâches de couleurs différentes qui créent ainsi un rapport entre les couleurs et les formes.
  • XXe siècle
    Le genre retrouve sa vigueur au XXe siècle avec notamment les cubistes qui révolutionnent et bouleversent les notions de la représentation des objets et de l’espace.
    La nature morte traversera ensuite tout le XXe siècle, en passant par les surréalistes, le pop’art, les ready-made ou le Nouveau réalisme avec Arman ou Tony Cragg.